• J'accuse

• Avant le croquemitaine, on ne sait pas, c’est vague comme histoire, un chaos d’ombres et de cris. Comme les autres, c’est un prince, comme les autres il a droit à toutes les attentions. L’enfance est un passage dont il ne se souvient pas, dont il ne veut pas évoquer le moindre détail. La faute a une perte, d’un jumeau décapité à la naissance, trop faible. Il n’existe pas d’image dans sa mémoire, juste la certitude d’avoir perdu quelqu’un, du creux béant dans la poitrine.

• L’évolution est lente, la cruauté se distille aux veines. Pas un soldat, mais un gouverneur. Il mène les autres, murmure à leur oreille. La manipulation est un jeu, les toiles se tissent et il devient le parfait marionnettiste.

• Le sang ou les crachats. Il répugne à servir l’armée, à rejoindre la discipline de ces chiens dressés au combat, deux années de survie parmi la milice, deux années durant lesquelles il est intransigeant, éradique les lois qui ne sont pas les siennes, met à mort les prétendus dangers de la société. Renvoyé!

• L’étude se poursuit en justice, il devient l’un des juges au capitole, joue avec les règles, réarrange les condamnations. Connaissance de Macaria, jolie folie de laquelle il prend soin, observe, curieux, se promet de lui apporter de nouvelles têtes à trancher. Duo effrayant. Faucheurs.

• L’appel tombe - apôtre des cinq. Le capitole est délaissé pour le vatican, du palais luxueux qu'il découvre, de nouvelles fonctions. Erebe tisse de nouvelles toiles, observe le monde. Ses mots sont rares, les actions toujours calculées. Aucun secret ne peut être gardé. Il sait, connait les failles de chacun, attend juste le bon moment pour frapper.

-

• La fillette connait l’éducation similaire à toutes - être parfaite, se taire, baisser les yeux devant les hommes. Les règlements sont respectés. Quatorze ans. Elle est découverte féconde. Arraché à la Villa, son enseignement se poursuit au Vatican où elle rejoint les autres - ces filles enfermées, ces brebis. Deux, trois, puis quatre enfants, elle ne compte plus les grossesses, devient une matrice pour les hommes. Appollonida est enfermée dans l’aile bordeaux. Là, elle n’est qu’une poupée au bon vouloir.

• Le cinquième enfant est monstrueux, de siamois elle accouche. Plus bonne à rien, elle est rejetée à la rue, délaissée aux crocs de quelques chacals.

• Le salut se présente, d’une main qui se tend pour l’enfant égarée. Son diable d’apôtre qui lui offre une chance. Cloitrée dans les appartements, elle est éduquée. Oubliés les préceptes des petites filles sages, il lui apprend le pouvoir, lui donne le gout.

• Trente quatre ans. Consécration. La couronne d’épines à sa tête. Le corps du bienfaiteur est retrouvé un mois plus tard, mort inexpliquée, coupable jamais retrouvé. Du haut de sa tour, elle jubile la reine.

• Jalouse les fécondes, envie leur beauté qui ne fane pas. Est atteinte d’une maladie qui lui ronge la peau, les bras décharnés et mains arachnéennes sont cachés sous du velours.

• Les yeux sont rivés aux écrans, de ces images qui défilent en continu, bordent les rues, et détruisent les cerveaux de tous les futurs aveuglés - eux les yeux bandés. L’enfant reste des heures à analyser ce qu’il voit, c’est confus au début mais après, il comprend, voit les mécanismes. L'orchestration prend vie.

• Education similaire à tous les petits princes, villa Médicis, enseignement de la guerre et de la politique. La mort de sa main, il laisse ça a autrui mais déjà il imagine l’arène, de combats de gladiateurs. Voir. C’est ce qui lui plait. Observer. Quelques animaux qu'il ramène, des cadavres à analyser, de leur souffrance qu'il évalue - piétine une aile, arrache une patte. Compréhension de la construction anatomique.

• Pas de sang à ses mains, obsession de l’impeccable, du costume sans un pli. Les meurtres sont à distance, sur les écrans. De rat dans les studios, il passe maitre, développe ses idées, propose de nouveaux jeux toujours plus sanglants les uns que les autres.

• Voir, ne pas toucher, juste observer la décomposition, de leur capacité à souffrir puis à s’éteindre, bougies vacillantes. Argos et son refus de toucher, cette répugnance qu’il porte aux corps, de gants toujours à ses mains, de l’incapacité à effleurer une peau d’inconnue. Le lit est froid. Les moqueries sont légion "eunuque" qu'ils crient, lui se tait, et d'un claquement de doigts les importuns sont menés à la mort.

• Les carcasses animales s’entassent en bordure du jardin, parfois des morts naturelles, souvent le résultat de pièges qu’il dissémine partout, attend la venue des plus naïfs. Patient, il l’est, observe les créatures se débattre dans les pièges, hurler à quelque pitié de la part du garçon. Rien. C’est de la curiosité. Fil et aiguilles sont ses alliés, d’objets volés à l’aile des filles, de quoi façonner son petit monstre. C’est un chien pourvu d’ailes de chauve-souris qu’il présente, chimère de ses pensées.

• Mis à l’écart par les autres enfants de la villa, il évolue seul, prétend ne pas avoir besoin des autres, vit dans sa chambre. Ils s’inquiètent les professeurs. La purge des dix-huit ans lui est épargné.

• Est envoyé dans les laboratoires au delà de la ville, dans les anciens entrepôts. Les tares sont rejetées. La science est son domaine, petit mécanicien des corps qui réarrange, modifie et joue avec le matériel qu’on lui apporte : les enfants mal-formés. Tous passent entre ses doigts avides.

• Apôtre, ce n’est pas un choix, c’est un rôle qui tombe sur ses épaules. Il refuse de sortir du laboratoire, refuse de rejoindre la ville qui l’a chassé. Pas de la peur, mais la colère est à la hauteur de leur mépris, eux qui jettent un regard de défi, eux qui crachent sur le faiseur de monstres.

• Paroles qui ne se taisent jamais, il ne sait pas garder un secret, divulgue des informations aux chalands. Gardien à la bouche décousue.

• Intrépide qui court les concurrents dès l’enfance, cogne les plus forts pour obtenir la couronne du petit prince des soldats. La défaite il ne connait, tous les jeux doivent mener à la victoire. L'épée de bois transperce les faibles, tranche leur crâne vide. De quelques coups en traitre et voila qu’il est le meilleur. Tricher n'est pas mauvais, tous les coups sont permis - atteindre son but.

• La purge est son défi, remporter le tournoi, gagner l’estime des apôtres. Ménétios établi un record, abat plus de vies que les précédents participants. Le corps est couvert de carmin, bain du sang versé. Consécration de l’assassin. La carrière militaire est tracée, son avenir se joue au sein de la Milice. Le soldat gravit les échelons, accueille les récompenses. Les médailles au torse, de décorations qui sont sa fierté, ces broches stipulant son courage - ou plutôt sa cruauté.

• Trente deux ans. Un poste est proposé à la Villa, enseigner aux plus jeunes, faire d’eux de véritables cerbères, il accepte, fou à l’idée de pouvoir poser ses pattes sur les futures recrues.

• Sadisme. Les poupées achetées sont des cendres entre les doigts de fer. De filles pour lesquelles il n'a aucune considération, des jouets à son plaisir. Homme insatiable, des femmes qu'il fait ployer, de soumission qu'il ordonne. Lui résister est un affront.